Proposition d’un nouveau Commissaire français, acte II !
11 novembre 2019Le Parlement européen a rejeté la candidature de trois commissaires désignés par leur pays : ceux de la France, de la Hongrie et de la Roumanie. Les trois pays ont donc du présenter un nouveau candidat. Espérons que cette fois-ci sera la bonne, et que, côté français, après le rejet de la candidature de Sylvie Goulard il y a deux semaines, l’Elysée a bien tout vérifié avant de proposer la candidature de Thierry Breton, pour le poste de Commissaire français à la Commission européenne.
S’il est retenu (restons prudent, dorénavant…), il occupera le même poste extrêmement vaste, et qui reste pourtant inchangé (accord sur ce point entre Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne) : le poste comprend le marché intérieur (tout le marché unique), la politique industrielle de l’UE, mais aussi le numérique, la défense et l’espace. A l’échelle d’un seul pays (la France par exemple), nous n’aurions pas moins de 5 ou 6 ministres, pour traiter ces dossiers majeurs, et d’avenir pour le poids et la place de l’Union dans le monde, face aux Etats-continents… Ce poste est à l’évidence un des plus importants, et stratégiques, de la Commission. Certains eurodéputés s’étaient d’ailleurs déjà inquiétés de l’envergure de ce poste au moment de la candidature Goulard.
Pourquoi le choix de Thierry Breton ?
Après le « camouflet » du rejet de Sylvie Goulard par les eurodéputés, à une large majorité, Emmanuel Macron a pris son temps et ses précautions pour trouver quelqu’un d’au moins aussi compétent. Et il n’y en a pas tant que cela… Du coup, et c’est embêtant vu le travail à faire, le remplacement des trois candidats a repoussé d’un mois la prise de fonction de la nouvelle Commission, au 1er décembre 2019. Il fallait, certes, laisser du temps à la France, à la Hongrie et à la Roumanie, pour proposer leurs nouveaux candidats susceptibles d’être agréés, cette fois.
Le président de la République a hésité entre plusieurs personnalités : Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour l’UE ; l’actuelle ministre des Armées, Florence Parly ; ou encore l’économiste en chef de l’OCDE, Laurence Boone. Michel Barnier n’était plus disponible, car au même moment du choix présidentiel, il a accepté d’être reconduit (par les 27 Etats membres) négociateur pour les accords futurs sur les relations UE/Royaume-Uni pour 2020, voire 2021 aussi, si ça dure. Car ces accords seront bien plus conséquents que l’accord préalable avec les questions des financements, de l’Irlande et des statuts des citoyens européens. Et Michel Barnier est le plus à même de poursuivre ce qu’il a commencé depuis deux ans.
Et puis Thierry Breton a été choisi aussi en accord avec la future présidente de la Commission qui souhaitait avoir un Commissaire qui connaisse bien le numérique et les grandes entreprises européennes, pour fortifier l’Union face aux géants émergents ou émergés.
Thierry Breton, chef d’entreprise et ancien ministre de l’Economie, a à l’évidence le bon profil. Il a dirigé Thomson, France Télévisions et actuellement Atos, une société de services numériques, dont il est le PDG depuis 2009. Il a été aussi ministre de l’Economie en 2005, dans le gouvernement Raffarin, et sous la présidence Chirac. Il y restera jusqu’en mai 2007 (élection de Sarkozy à la présidence de la République).
Thierry Breton est aussi un européen convaincu. Il a conduit différents projets franco-allemands, et connaît bien Ursula von der Leyen pour avoir déjà travaillé avec elle -lorsqu’elle était ministre de la Défense en Allemagne- sur la création d’un fonds européen de la défense et de la sécurité, fonds qui émerge depuis un an, même s’il a encore un budget modeste… L’idée de ce fonds est bien sûr de doper les investissements européens dans les domaines de l’armement sous toutes ses formes, dans un esprit de convergence et de mutualisation entre Etats-membres.
Il a le profil pour développer toute l’industrie européenne et la rendre capable de rivaliser avec la Chine et les Etats-Unis, par exemple en développant en Europe les supercalculateurs, ces ordinateurs extrêmement puissants. Il y a urgence, en effet.
Mais les chefs d’Etat ou de gouvernement proposent…et le Parlement européen dispose ! Quoi de plus normal, dans une Union européenne démocratique ? Le dernier mot doit revenir aux peuples.
Il reste donc au Parlement européen l’essentiel, à savoir valider – ou pas – cette candidature. Et le Parlement continuera –à bon droit– de sélectionner les candidats en fonction de la triple obligation de compétences, de probité et d’indépendance.
Et il serait vraiment problématique si la France se voyait refuser un second candidat ! Non sur la question de la compétence, bien sûr, mais sur la probité ou l’indépendance. Car déjà des voix s’élèvent (plusieurs journaux européens ; partis extrémistes du Parlement européen) pour pointer le risque de conflit d’intérêt. On peut faire confiance au Parlement pour scruter soigneusement le parcours professionnel de Thierry Breton. Comme pour tous les candidats à ces postes, actuels ou futurs..
Je ne suis ni avocat, ni procureur, mais je constate simplement qu’il aura à gérer la politique européenne d’investissement (ce qui est très, très important pour l’avenir de l’Union), ce qui comprend, entre autres, les supercalculateurs, dont la construction est justement la spécialité d’Atos… De plus, Euractiv rappelle que « Thierry Breton, alors administrateur de Rhodia, avait été mis en cause dans l’affaire Rhodia, en 1999, par des actionnaires se plaignant d’avoir été roulés par les dirigeants de la société avant son introduction en bourse ». Mais lorsqu’il fut ministre de l’Economie en 2005 (2005-2007), il se détacha de ces fonctions.
Certes, il a un réseau important de chefs d’entreprise, mais il faut rappeler ici qu’un Commissaire européen, dans toute action, doit défendre l’intérêt général de l’Union, et nullement l’intérêt d’un Etat membre, et encore moins son propre intérêt.
Dernier petit bémol, il est dommage que Macron n’ait pas proposé une autre femme. La Commission était à égalité quasi parfaite de Commissaires Femme/Homme (14/13). Ce ne sera plus le cas.
Thierry Breton sera auditionné mi-novembre par le Parlement européen, comme les deux autres nouveaux Commissaires proposés par la Hongrie et la Roumanie. On saura alors si la Commission européenne peut (enfin) entrer en fonction au 1er décembre.
L’UE a déjà perdu beaucoup de temps depuis deux ans à cause du Brexit qui n’en finit pas, du fait du Royaume-Uni de plus en plus divisé.
L’Europe doit (re) travailler à plein régime (harmonisations fiscales, sociales, futur budget de l’UE, sécurité…). Les géants mondiaux et rivaux ne nous attendront pas…
Actualisation : le 14 novembre, après une audition réussie devant les euro-députés, la candidature de Thierry Breton a été définitivement validée par le Parlement européen. La Commission européenne, désormais au complet, va enfin pouvoir s’atteler à ses nombreuses taches, à partir du 1ier décembre.
Toutefois, les Britanniques ayant beaucoup de mal à quitter vraiment l’UE (on les comprend !!), ils vont devoir proposer, à titre transitoire, un…Commissaire européen représentant le Royaume-Uni, vu qu’ils sont, encore membre de l’Union “à part entière”. C’est un gag, mais c’est légal !