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Vous consultez les archives de L’Euro-blog d’Alain Malégarie pour le mois mai, 2020.

L’UE a les moyens juridiques et judiciaires pour défendre l’intérêt général européen et la primauté du droit communautaire !

13 mai 2020

Je souhaitais réagir au déferlement de réactions suite à l’arrêt qu’a pris, le 5 mai, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe (Bundesverfassungsgericht), remettant en cause des décisions prises par la Banque centrale européenne (BCE) en mars 2015, sous la présidence de Mario Draghi, visant à assouplir sa politique en rachetant massivement des titres de dette publique des Etats en difficulté. Cet arrêt remet en cause également la primauté du droit européen sur le droit national des Etats-membres.

Sans être adepte de la “méthode Coué”, je pense cependant qu’il convient de relativiser -tout en restant vigilant- la portée juridique de cet arrêt.

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe (sorte de super “Conseil constitutionnel” ayant un contrôle sur toutes les décisions et lois nationales allemandes), peut certes prendre des avis, des recommandations et mêmes rendre des arrêts.

Depuis des décennies, ses juges sont notoirement eurosceptiques et anti-euro; Ils avaient même essayé -en vain- de torpiller l’euro avant sa naissance, au nom de la “souveraineté monétaire de l’Allemagne”, qui disposait de la monnaie (le Mark) la plus forte de l’UE. Et ces juges monétaristes détestaient déjà que la Bundesbank aide les monnaies faibles ( lire, escudo, peseta, franc français, etc) en les rachetant massivement afin que leurs cours remontent, évitant des dévaluations en cascade (la France en a bien bénéficié). Pour eux, la monnaie unique, ce devait être le …deutsche Mark !!

Et ils ont joué sur tous leurs pouvoirs de blocage possible. J’ai bien suivi cela, à l’époque ! Et l’euro est, heureusement, né quand même. Et est devenu la seconde monnaie du monde.

Même vingt ans après, l ‘euro, (donc la BCE) est et reste leur pire ennemi, mais sur ce sujet comme sur tous les autres les gouvernements allemands ont toujours respecté la suprématie du droit communautaire et l’indépendance juridique ou politique de la BCE.  A tel point qu’un président de la “Buba” (Bundesbank), Axel Weber,  avait même démissionné il y a quelques années, ainsi que deux membres du Directoire de la Banque centrale européenne. Là ce n’était plus contre l’euro, deuxième monnaie mondiale, mais contre le rachat massif par la BCE de titres de dettes publiques des Etats fragiles (en injectant des centaines de milliards €). Pour ces juges intransigeants, aider les pays “cigales” sous  quelque forme que ce soit, c’est les inciter à continuer à dépenser plus qu’ils ne peuvent et à ne pas se réformer.

Et aujourd’hui, profitant d’un contexte particulier, ils recommencent (ou continuent) leurs attaques contre ces politiques d’aides de la BCE.

Je rappelle que la politique monétaire est une des cinq compétences exclusives de l’Union européenne. En outre, et surtout,  le droit communautaire prime sur les droits nationaux. Ceci est même une des bases absolues du fonctionnement de l’Union, une constante du droit depuis 1964, qui découle de la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Et cela est acquis par tous les Etats, Allemagne comprise, qui a accepté que cette motion de primauté du droit soit inscrite dans le protocole 17 du traité de Lisbonne qui comprend aussi l’avis du Conseil juridique du Conseil du 22 juin 2007 (cf page 334 du recueil des traités consolidés de l’Union). Et même si l’Allemagne, contrairement à la France, n’a pas inscrit cette primauté dans ses lois fondamentales, cela ne la dispense pas de l’appliquer, comme tous les Etats-membres.

D’ailleurs, chaque fois que cette Cour constitutionnelle allemande a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), cette dernière l’a toujours “remise à sa place” en vertu du droit communautaire qui prévaut (et qui légitime les règlements; les directives étant validées par les chefs d’Etat et de gouvernement et votées par le Parlement européen).

Elle peut certes ne pas prendre acte de ces décisions, les regretter, les contester. Mais la Cour suprême allemande n’est pas la Cour suprême européenne qu’est la CJUE ! Heureusement…

Si l’euro est leur terrain préféré de prédilection, cette Cour (unique en UE !!)  tente aussi de sévir sur d’autres sujets : en 2014, lors des élections législatives européennes, elle avait rendu un avis sur le fait que ces élections étaient “non démocratiques” car la représentativité des députés européens élus en Allemagne était très inférieure à celle des  eurodéputés élus à Chypre ou à Malte.

Et le gouvernement allemand n’avait pas tenu compte de cette position, et n’avait pas demandé au Conseil européen de modifier la répartition des eurodéputés entre Etats-membres.

Aujourd’hui, profitant aussi d’une Union affaiblie car divisée profondément entre Etats, entre nord et sud, et plus encore entre est et ouest, Union affaiblie aussi par un contexte de crise sanitaire problématique qui va engendrer très vite une crise économique et sociale très sévère (faillite en cascade d’entreprises et explosion du nombre de chômeurs…), cette cour attaque à nouveau les -nécessaires- aides massives de la BCE  (et qui ne font sans doute que commencer pour les années qui viennent !). Au delà de leur haine de l’euro, ces juges “extrêmes” et nationalistes sont pour le “chacun pour soi”, chaque Etat-nation devant se débrouiller seul, sans recevoir aucune aide des autres. Ils tentèrent aussi cela lors de la crise grecque, et ne furent pas suivis non plus.  Ils tentèrent aussi cela lors de la crise grecque, et ne furent pas suivis non plus. Heureusement !

D’autre occasions vont très vite se présenter, à commencer par  l’Italie, très fragilisée - avant même le Covid-19 - qui va  rentrer dans une profonde crise, et tant d’autres . Et vu la récession économique sans précédent qui s’annonce, la solidarité européenne, de la zone euro notamment, devra fonctionner, mieux (avec plusieurs outils) et plus vite cette fois que pour la Grèce en 2011.

Et cela donnera à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe autant d’occasions de chercher à attaquer les fondamentaux européens. D’autant qu’un plan de relance économique d’au moins 1500 milliards € devrait être décidé par les chefs d’Etat et de gouvernement pour les Etats les plus fragiles, ceux qui sont les plus rejetés par ces juges eurosceptiques et peu solidaires.

Il faut donc rappeler, partout, en toute occasion,  que le droit communautaire s’impose  aux droits des Etats-membres, et que les arrêts de la CJUE ont un pouvoir contraignant sur toutes les juridictions nationales, Cour constitutionnelle de Karlsruhe comprise. Et que (cerise sur le gâteau) la BCE est indépendante des gouvernements des Etats également, comme le sont aussi, du reste, les banques centrales nationales.

J’espère que le Parlement européen (la voix des citoyens) va rappeler officiellement ces principes légaux et légitimes, les répéter haut et fort, et rapidement.

La CJUE, de son côté, continuera de défendre le droit de l’Union et sa suprématie, et de le faire savoir par ses arrêts.

La Commission, garante de l’intérêt général et de la bonne application des traités, a déjà commencé à réagir à cette arrêt contestable de ce tribunal allemand, par un communiqué de presse du 10 mai très clair dans lequel Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, rappelle la primauté du droit européen sur les législations nationales et l’indépendance de la BCE par rapport aux gouvernements nationaux. Elle rappelle que la politique monétaire est une compétence exclusive de l’Union, et que les jugements rendus par la Cour de Justice de l’UE ( CJUE) sont contraignants pour les cours de justice nationales (y compris celle de Karlsruhe, donc !…). Elle précise même que “La parole ultime sur le droit européen est rendue par la CJUE”. Et elle ajoute que “la Commission européenne se doit de sauvegarder le fonctionnement correct du système de l’euro et du système juridique européen; l’UE est une communauté de valeurs et de droit, c’est ce qui nous maintient ensemble, c’est ce que nous défendrons”.

Et ces propos ne sont pas prononcés “en l’air”, la Commission n’a d’ailleurs jamais hésité à enclencher des procédures d’infraction chaque fois qu’un Etat transgresse ces principes fondamentaux qui sont l’ADN européen.

Et la présidente conclut par ces mots : ” Je prends la chose très au sérieux. La Commission est en train d’analyser en détail le jugement (de cent pages !!) de la cour constitutionnelle fédérale allemande et sur la base des conclusions nous examinerons de possibles prochaines étapes allant jusqu’à une procédure pour infraction aux traités européens”. Tout est dit !

Et j’espère aussi que les chefs d’Etat et de gouvernement, réunis bientôt pour décider des modalités d’un plan de relance économique massif dédié en priorité aux pays les plus touchés par la crise sanitaire (et bientôt hélas la crise économique et sociale), sauront être à la hauteur des enjeux et ne manqueront pas de réagir par un communiqué commun rappelant que la solidarité entre Etats-membres est bien  l’ADN de la construction européenne, n’en déplaise à quelques juges extrémistes, qui ont certes un pouvoir de nuisance (sur le plan communication, déjà !!), mais pas de pouvoir juridique pour s’imposer au pouvoir légal - et légitime- européen.

En fait, cette cour joue sur la communication, et de façon plutôt efficace, à en croire les nombreuses réactions dans la presse écrite et audio visuel depuis le 5 mai ! Car, malheureusement, les réactions des journalistes  convergent  souvent dans un sens bien pessimiste, attribuant beaucoup (trop) de pouvoir à cette cour, capable selon eux de faire vaciller le droit européen et avec lui tout l’édifice européen. Et voilà que l’on reparle (comme en 2010 !) d’un risque sérieux pour l’existence même de l’euro, et partant d’un éclatement de l’Union…Bien joué, la cour ! Au delà des arguties juridiques, la cour de Karlsruhe, en fait,  fait de la politique: elle vise les citoyens eurosceptiques et tous les gouvernements souverainistes, pour ne pas dire nationalistes ( Pologne, Hongrie et d’autres encore…) en encourageant ces derniers à affaiblir, voire nier, le droit européen,  donc le socle de toute la construction européenne. Là est le danger, surtout. D’ailleurs, le chef du gouvernement polonais, Mateusz Morawiecki  a profité d’une telle aubaine en saluant cet arrêt de la Cour allemande comme “l’un des jugements les plus importants dans l’histoire de l’UE” (propos parus dans un interview du Frankfurter Allgemeine Zeitung du 10 mai).

Il faut donc tuer dans l’oeuf tout risque de contagion (sans jeu de mot en ces temps de Covid…)

Et ne pas rester inerte. Sinon quelques juges auront gagné. Ce serait fâcheux, et immoral, car le droit européen a toute la légitimité et légalité pour régler, en toute équité, ce conflit. La solidarité européenne doit l’emporter, dans tous les domaines, au détriment d’intérêts égoïstes et nationalistes. La Commission, la CJUE et la BCE ont le droit pour elles, à elles le soin de le défendre au nom de l’intérêt général. Nous suivrons avec intérêt et attention la suite des procédures…