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Vous consultez les archives de L’Euro-blog d’Alain Malégarie pour le mois janvier, 2021.

L’accord post-Brexit : mode d’emploi

04 janvier 2021

Le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est bien un divorce à l’amiable, assez équitable pour les deux parties. Avec un accord laborieux de 1400 pages sur la future relation commerciale, à la mesure d’enjeux fort importants des deux côtés.
Pour Ursula von der Leyen, la présidente de la commission européenne, il s’agit d’un « accord équilibré et équitable », et « la coopération avec le Royaume-Uni se poursuivra dans tous les domaines ».  Pour Boris Johnson ,  « nous sommes votre voisin, votre ami, votre supporter et votre allié ». Mais avec de nouvelles règles de voisinage et de cohabitation.
Le Royaume-Uni reste très lié à l’Union, sur le plan commercial voire au-delà, mais n’aura par contre strictement plus aucun pouvoir, aucun mot à dire sur la gouvernance institutionnelle de l’UE. Un réel avantage pour l’Union, finalement. On ira plus vite dans l’intégration !
Mais alors, où est la souveraineté britannique, dans ce Brexit ? Et qu’est-ce qui change alors vraiment, sur le fond ? Et pourquoi alors être parti pour rester un peu… beaucoup ?

En effet, depuis le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni est devenu un « Etat-tiers ». Il ne fait plus partie du marché unique, et ce faisant le contrôle aux frontières a été réintroduit.

Pour les citoyens de l’UE, la carte d’identité suffira jusqu’au 1er octobre 2021. Après, il faudra un passeport, dans les deux sens.
Le permis de conduire européen reste valable.
Pour les Européens qui voudraient travailler désormais au Royaume-Uni, un permis de travail à points sera nécessaire. Et cela va impacter des secteurs qui ont pris l’habitude d’employer beaucoup de non-Britanniques, comme le secteur de la santé (infirmiers, aides-soignants), ou de l’hôtellerie-restauration (bars, pub, restaurants, etc).

Il faudra aussi un titre de séjour pour les Britanniques désirant travailler au sein de l’UE, ou désirant s’installer désormais. Cela ne concerne pas les résidents européens au Royaume-Uni, ou Britanniques vivant en UE, déjà installés depuis plusieurs années, qui bénéficient du statut de résident, dans la continuité de leur statut antérieur. Ou alors, les Britanniques peuvent demander toujours, bien sûr, à prendre la nationalité d’un Etat-membre. D’ailleurs comble de l’ironie: le père de Boris Johnson vient de demander la nationalité française. Et ce n’est pas une fake news !! Véritable camouflet pour le Premier Ministre !

Pour les étudiants, il n’y aura plus de mobilité, puisque le Royaume-Uni a fait le choix, étrange, de se retirer du programme Erasmus+, sous le prétexte que cela a un coût important pour les universités anglaises. Car en effet, les étudiants paient leur frais de scolarité dans leurs universités d’origine, où les droits d’inscription ne sont pas aussi élevés qu’au Royaume-Uni.  Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y avait 340.000 étudiants de l’UE qui allaient au Royaume-Uni, et seulement 40.000 britanniques qui allaient en UE. Sans compter les autres mobilités du programme Erasmus+, jeunes, apprenants en formation professionnelle, etc. Mais au-delà de ce simple calcul comptable, ce que le programme Erasmus+ apporte, c’est un sentiment d’appartenance et de citoyenneté européenne. Mais c’est aussi un élément de diffusion des modes de pensée, de savoir-faire, d’apprentissage d’un pays. Et là, le Royaume-Uni sera le grand perdant. Et le winner sera… la République d’Irlande et Dublin, ainsi que les universités des pays nordiques qui ont toutes intégré des enseignements en anglais depuis longtemps.
Mais le Royaume-Uni a fait le choix de rester dans le programme Horizon Europe (anciennement Horizon 2020), le programme de recherche européen, et donc, pour cela, il devra payer une contribution, comme le fait déjà la Norvège.

Pour les marchandises, être un « Etat-tiers », implique le rétablissement du contrôle des marchandises aux frontières à Douvres, Calais, Dunkerque. Mais la bonne nouvelle est que les échanges commerciaux restent totalement exemptés de droits de douanes et de quotas. Mais ils devront être déclarés à la frontière et donc contrôlés. Et on voit apparaître un formulaire avec 84 cases à cocher pour chaque camion contrôlé. Le Royaume-Uni ne fait plus partie du marché unique. Mais reste dans le marché européen, et donc devra payer des contreparties importantes, comme c’est le cas pour la Norvège, la Suisse et la Tuqruie qui ont depuis longtemps des accords très étroits sur le plan commercial avec une Union douanière. On reste finalement dans le « un pied dedans, un pied dehors! ». D’autant que les règles de la concurrence seront très encadrées, comme le souhaitait l’UE : pas de dumping fiscal, social, environnemental du Royaume-Uni, pas de « Singapour sur Tamise » dont rêvaient certains brexitters !

Pour les services, le Royaume-Uni va être perdant. Car près de 80% de son PIB est issu du secteur des services. Et je pense qu’il y aura assez vite une autre négociation sur les services, après des délocalisations de grosses structures dans l’UE…
La City (services financiers) représente 7% du PIB britannique. Or, rien n’a été prévu pour elle dans cet accord.
3.000 milliards d’actifs ont déjà été transférés, depuis 2 ans, en UE (cela représente deux fois notre CAC40 annuel !). Donc pas négligeable. Et ce n’est qu’un début. Le vote du Brexit lui a déjà fait perdre 3% du PIB depuis 2016, et une nouvelle perte de 4% est prévue à partir de 2021. Soit un total de 7% de perte, c’est énorme !
Car la City a perdu le « passeport européen » pour des investissements financiers dans l’UE. Pour pouvoir continuer à faire des affaires, les entreprises financières britanniques (banques, assurances, fonds de pension, etc) devront ouvrir des succursales sur le sol européen. Elles ont déjà commencé…

Reste la pêche, secteur fortement symbolique, mais négligeable en termes de pourcentage du PIB, européen comme britannique (moins de 1%). Tant que le Royaume-Uni était dans l’UE, les pêcheurs européens avaient un accès plein et entier aux eaux britanniques, très poissonneuses, et donc très convoitées. En respectant naturellement les normes et quotas de respect de la biodiversité. Avec le divorce, les quotas de pêche européens vont baisser de 25% d’ici à 2026 (après on renégociera les quotas, chaque année). Il nous reste donc 75% de quotas de pêche dans les eaux britanniques. Pas si mal, finalement !

Du point de vue de l’Union européenne, « l’unité et la fermeté ont payé. Nous nous assurerons de l’application de cet accord », comme l’a proclamé le président Emmanuel Macron.
Du point de vue britannique, une boîte de Pandore s’est ouverte. Car, dès  le 24/12/2020, jour de l’annonce de l’accord historique, l’Ecosse annonçait, comme prévu, son souhait de rejoindre l’UE si elle peut devenir indépendante. Nicola Sturgeon, le Premier Ministre écossais déclarait : « il est temps de tracer notre propre avenir en tant que nation européenne indépendante ». C’est un risque de dislocation future du Royaume-Uni. Mais en tout cas de débats houleux au sein des deux Etats. Une première étape sera l’élection de mars prochain, où le parti de Nicola Sturgeon est présenté comme le probable vainqueur. L’Ecosse sera alors en position de force pour relancer le processus et réclamer un nouveau référendum sur son indépendance. Mais pour cela, elle devra vaincre un obstacle, Boris Johnson s’étant déclaré non favorable à cette indépendance. On verra alors s’il acceptera ou non de respecter le vote du peuple écossais.
Et puis, il y a l’Irlande du Nord, farouchement anti Brexit. Dans le cas de cet accord, l’Irlande du Nord va pouvoir continuer à commercer avec la République d’Irlande, qui est dans l’Union européenne et a l’euro. Les passages de la frontière seront simplifiés. Personne ne veut remettre en cause les accords du « Vendredi Saint » de 1998, et revenir à une situation de guerre civile et de morts (3500 morts). L’UE restera extrêmement vigilante sur cette problématique, aussi.

Finalement, cet accord est satisfaisant, bien qu’insuffisant, car on continuera à travailler ensemble. Nous appartenons au même continent, à la même culture, à la même histoire. France et Royaume-Uni sont les deux seules puissances nucléaires de l’Union, et sont d’accord sur de très nombreux points (en faveur des sanctions contre la Biélorussie et la Russie, ou sur les mesures contre le terrorisme, par exemple).
Mais il reste des lacunes, car rien n’a été décidé sur la défense (le Royaume-Uni est un gros partenaire sur la défense) . Rien sur la diplomatie, non plus. Mais rien n’interdit de négocier d’autres accords, dans tous les domaines. C’est l’intérêt de tous, mais surtout du Royaume-Uni, qui sera bien petit face à la Chine, aux USA, et aux autres géants émergents…

Boris Johnson fait de la politique , et est un très bon communiquant : « nous avons repris le contrôle de notre monnaie, de nos frontières, de nos lois, de notre commerce et de nos eaux ».
Mais cela reste une souveraineté très relative. Et l’avenir dira, à l’épreuve des réalités, si les citoyens britanniques approuvent ces déclarations populistes…
Et j’ai l’impression, en étudiant les termes de cet accord important, que l’UE s’en sort mieux, même si elle est un peu affaiblie de cette amputation d’une puissance européenne importante (culture, langue, défense, diplomatie, passé glorieux..). Ce qui permettra aux deux parties de signer d’autres accords, et rendra encore plus réduite cette « sortie » relative.
L’UE, solidaire pour une fois, avec aussi un très bon négociateur (Michel Barnier) a démontré qu’elle savait protéger ses intérêts . Cela devrait rassurer le citoyen européen.
Les Britanniques sont prévenus : l’UE ne tolèrera pas un « Singapour sur Tamise », pas de dumping, donc. Les négociations ont certes été longues, mais efficaces finalement. C’est ce que retiendra l’Histoire.
Le Royaume-Uni accepte les décisions de  la Cour de Justice de l’Union européenne. Il y aura un panel d’entités judiciaires pour régler d’éventuels conflits à venir. Mais pas de sanctions prévues à court-terme..
Cet accord ne pourra pas être révisé, sauf s’il y a un problème majeur sur un point particulier.
Le Royaume-Uni continuera à commercer à 48% avec l’Union européenne. C’est énorme. Alors que le Royaume-Uni compte peu pour les exportations de l’UE : seulement 8%. Même si pour la France, le Royaume-Uni reste notre premier client (12,5 milliards €), le seul pays avec lequel nous avons un excédent commercial, d’ailleurs. Et en première ligne, on trouve les régions des Hauts de France, de Bretagne, de Normandie. L’UE a déjà prévu de venir aider les professions qui auraient à pâtir de cet accord pourtant raisonnable.
Et s’il devait y avoir un jour des taxes sur les produits, cela engendrerait vite des délocalisations, du Royaume-Uni vers l’UE pour rester compétitifs dans les produits à l’exportation. Les Britanniques n’ont guère le choix : même une série d’accords, avec les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l’Inde, l’Australie, ne remplacera le partenanriat avec l’UE, première puissance commerciale du monde.
Cet accord doit encore être approuvé par le Parlement européen et par le Parlement britannique. Pour le parlement européen, c’est prévu courant janvier.
Pour le Parlement britannique, c’est déjà fait (le 30 décembre 2020), et le score est sans appel : 521 voix pour et 73 contre. Seule ombre au tableau, il n’y aura pas de vote dans les parlements nationaux des 27 Etats membres, mais seulement un débat, et également un accord simple entre les Ambassadeurs des 27 Etats membres.
Le Royaume-Uni a choisi son destin : un pied dehors, un pied dedans. On n’efface pas un demi-siècle de vie commune ! Et heureusement. Souhaitons qu’il ne se disloque pas, avec peut-être une perte de l’Ecosse un jour, voire de l’Irlande du Nord. Nos destins sont communs.