L’EUROPE AVANCE MALGRE LA CRISE, ET L’EUROSCEPTICISME. TANT MIEUX !
Chers internautes, une fois n’est pas coutume, mon billet sera mitigé aujourd’hui, oscillant entre « coup de cœur » et « coup de gueule », car il y a tout de même cette fois plusieurs bonnes nouvelles pour l’Europe et la zone euro en ce mois de septembre.
Déjà, en vous écrivant le 4 août dernier, je saluais les avancées positives et solidaires de la BCE de Mario Draghi, qui nous ont effectivement permis de passer un été tranquille, sans agressions des marchés ni hausse des taux d’intérêt (la BCE avait déjà racheté beaucoup d’obligations d’Etats faillis, et prêté aux banques fragilisées à 0,75% seulement). Draghi sait parler aux spéculateurs, et parvient à les contrôler… Gagner du temps, c’est capital (sans jeu de mot…). Et reprendre confiance dans notre belle Europe, qui conserve, malgré la crise, tant d’atouts. C’est essentiel. De ce point de vue, le mois de septembre restera exemplaire.
Le 6 septembre dernier, le président de la BCE a récidivé, en fin tacticien, en proposant de racheter à nouveau, massivement – « en quantité illimitée » - les dettes des Etats en difficulté, à la condition expresse, toutefois, que ces Etats (Espagne, Italie, Portugal) en fassent formellement la demande, via le FESF (Fonds européen de stabilité financière) ou le futur et performant MES (Mécanisme européen de stabilité). Ces aides majeures restent évidemment sous condition : pas de « troïka » de surveillance ni de mise sous tutelle des Etats demandeurs, comme on a fait pour la Grèce, mais engagement ferme de continuer sérieusement les politiques de réduction de l’endettement afin de redonner confiance aux marchés prêteurs et emprunter à des taux supportables. « Super Mario » conjugue donc, enfin, rigueur et relance, ce que les Chefs d’Etats sont incapables de faire. La solidarité oui, mais envers des Etats désormais responsables. Donnant donnant. Le futur MES, véritable FMI européen, sera doté de 80 milliards d’euros, et d’une capacité de lever une enveloppe de prêts s’étalant entre 500 et 800 milliards d’euros, et garanti par des Etats sûrs ! De quoi voir venir… La seule annonce de ces mesures, et d’une telle masse, avant même leur effectivité, a suffi à calmer la nervosité des marchés, et désorienter les spéculateurs de tout poil, de Wall Street à la City de Londres. C’est fou ce que les créanciers du monde entier pigent vite ! D’autant que Mario Draghi a prononcé une phrase toute simple, mais magique (et réitérée une semaine plus tard) : « l’euro est irréversible ». Cela peut presque paraître puéril, mais il reste encore quelques illuminés (ou spéculateurs opportunistes ?) pour répéter, depuis 13 ans, que l’euro va disparaître. Et pour le remplacer par quoi, au juste ? Le Mark ? Alors que cette monnaie (1,30 contre dollar !) est réclamée par le monde entier.
Bref, après tant de Conseils européens inutiles, depuis cinq ans (2008) ou très insuffisants (trop peu, trop tard), Mario Draghi a fait le maximum possible et même au-delà, compte tenu du mandat dévolu à la Banque Centrale Européenne. Il s’agit de mesures « non conventionnelles », inimaginables il y a quelques années, et qui lui attirent d’ailleurs les foudres de quelques germains orthodoxes ou dogmatiques qui pestent contre les « primes au laxisme »… comme le gouverneur de la Bundesbank qui siège au Conseil des gouverneurs de la BCE… En quelques semaines, ces mesures ont généré une détente des marchés, donc des taux d’intérêts : les taux d’intérêts à deux ans sont passés, pour l’Espagne ou l’Italie, de 6,5% à moins de 3% ! La France restant à 2% et l’Allemagne à 1%.
Autre journée décisive, et salutaire pour l’Europe, que celle du 12 septembre 2012, qui restera dans les Annales. D’abord, l’avis de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, avis très attendu de toute l’Europe et même du monde entier, compte tenu du poids économique de l’Europe, première puissance économique et commerciale du monde. La célèbre Cour devait, en effet, ce jour-là, dire si l’architecture financière européenne, à savoir le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) dit « Pacte budgétaire » et le Traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, signés par 25 Etats (exit le Royaume-Uni et la République tchèque) le 2 mars dernier au Conseil européen, étaient bien conforme à la Loi fondamentale allemande. En clair, si ces deux textes n’entravaient pas la souveraineté du pays. La responsabilité des juges allemands était donc immense, même si on pouvait être confiant, vu qu’ils avaient déjà validé le FESF et compte tenu de la responsabilité accrue de l’Allemagne en tant que Première de la classe.
Et bien, en ce jour de gloire du 12 septembre, l’avis de la Cour a été positif, assorti certes d’une condition : que l’Allemagne n’excède pas sa propre garantie financière au MES, fixé à 190 milliards d’euros, ce qui est déjà pas mal…
On imagine le coup de tonnerre si ces deux Traités avaient été retoqués par la Cour. Les prêteurs du monde entier y auraient vu la fin de la solidarité inter-européenne, l’éclatement de la zone euro (l’euro sans les Allemands !!) et ils auraient filé prêter leurs fonds sur l’Asie et l’Afrique, qui en ont besoin aussi, car en plein développement (les Européens l’oublient souvent…). Nos taux d’emprunts, plus rares, auraient donc explosé, nous appauvrissant un peu plus.
Troisième bonne nouvelle : le vote du 12 septembre (décidément, c’est un bon jour !) aux élections législatives des Pays-Bas. Les Cassandre nous prédisaient la catastrophe : l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, des eurosceptiques, le refus de la solidarité budgétaire, etc… Et bien, non ! Les extrêmes ont perdu, et les « pro-européens », des Libéraux aux Socio-démocrates, ont gagné, même s’il faudra un gouvernement de coalition. Encore raté pour ceux qui ont juré de faire la peau de l’euro, de Wall Street à la City ! Encore raté ! Cela me rappelle cette pub qui passe souvent à la télévision, de la Maaf, je crois (« je l’aurais, je l’aurais » !).
Comme quoi, les jeux ne sont jamais faits à l’avance, et les « prédictions auto-réalisatrices » peuvent se révéler… quelque peu hasardeuses…
Quatrième événement, toujours le 12 septembre ( !), le discours sur « l’état de l’Union » du Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, embrayant (enfin) sur les multiples propositions qui fleurissent dans plusieurs pays européens (Allemagne, Italie, Pologne, Espagne) sur le « saut fédéral » à faire maintenant si l’on veut que l’Europe redonne confiance à ses créanciers et pèse enfin sur le destin du Monde, grâce à une gouvernance crédible.
Le nombre d’articles, de colloques, d’interviews de Politiques sur cette question, sur la nécessaire, l’indispensable, la vitale fédéralisation budgétaire, fiscale, économique, salariale, et bien sûr institutionnelle et politique, est impressionnant depuis plusieurs mois.
Saut considérable, et ce à cause de (grâce à) la crise, qui démontre jour après jour l’inconsistance et l’impuissance d’Etats morcelés et divergents. Je rappelle souvent ce chiffre cruel : l’UE c’est 503 millions d’habitants, donc 7% de la population mondiale (7 milliards). Laquelle population mondiale passera à … 9 milliards dans moins de 40 ans. L’UE fera donc 5% du monde…
L’heure est donc au rassemblement de nos minuscules Etats, et vite !
Donc, depuis 2008, et surtout depuis 2011, les travaux et réflexions sur le fédéralisme, les Etats-Unis d’Europe, etc, sont très nombreux. Sauf en France, pays enfermé dans son jacobinisme centraliste, sclérosé par son culte du Chef unique (« Le » président de la République, une et indivisible) et gangréné de surcroît par le « nonisme » résurgent de droite comme de gauche. Comme si on n’avait pas assez du non des extrêmes !! Ce repli identitaire et des esprits pourrait nous coûter très cher, si « les autres » parvenaient un jour à se fédérer… sans nous ! Se croire indispensable, même si la France est la seconde puissance économique de l’UE (mais déclinante.. ) pourrait à terme se révéler quelque peu prétentieux.
Ce jour-là, donc, au Parlement européen de Strasbourg, José Manuel Barroso a ni plus ni moins repris, dans un vibrant plaidoyer, la formule de Jacques Delors, en faveur d’une « Fédération d’Etats-Nations », concept qui a, certes, ses limites. Il a développé, notamment, la nécessité urgente de réaliser l’union bancaire, après cette union budgétaire qui verra le jour (pacte budgétaire et MES) puisque 12 pays en zone euro suffisent pour leur mise en œuvre, et qu’on sera déjà 10 avec la France (vote assuré au Parlement début octobre). Le projet d’union bancaire a également été développé par le commissaire européen Michel Barnier, et repris aussi par Herman van Rompuy, le Président du Conseil européen. Le Président de la Commission va donc préparer un projet de loi visant à instaurer une supervision bancaire unique, donnant à la BCE un droit de regard et de sanction sur les 6.400 banques de la zone euro, sanctions pouvant aller jusqu’à retirer les licences bancaires ! Les banques ne pourront donc plus faire des opérations financières complexes et risquées, genre « subprimes » qui ont déclenché la crise depuis 2007. Par ailleurs, il n’a pas oublié la dimension plus politique de la l’intégration européenne en proposant que chaque Etat présente son candidat à la présidence de la Commission avant les législatives européennes de juin 2014. Car vu les mauvais sondages récurrents sur le fait européen en France et – même en Allemagne, on a bien conscience à Bruxelles qu’il faut sortir au plus vite de cette spirale eurosceptique ou même franchement anti-européenne en légitimant et popularisant le débat paneuropéen. Donc, un président issu des urnes, et non désigné par les Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres dans un consensus a minima sur celui (ou celle) qui les gênera le moins…
Bref, les lignes bougent, et le mouvement s’accélère. Sauf en France, bien sûr !
Encore une avancée inconcevable il y a seulement trois ou quatre ans : Guido Westervelle, le Ministre des Affaires étrangères allemand, et son homologue polonais se sont prononcés pour… l’élection directe des dirigeants européens ! Rien de moins ! Ils ont dit cela à la fin d’un groupe de travail sur « le futur de l’Europe », qui se réunit régulièrement. La France participe à ce groupe de travail, en principe. Sauf que Laurent Fabius, leur homologue français… ne s’y est pas rendu… Cherchez l’erreur.
Berlin, Rome, Varsovie, Madrid, n’ont pas peur du fédéralisme, ni d’une Europe plus intégrée, plus politique. En France, on hésite toujours, on tergiverse, ou minaude. Pendant ce temps, les extrêmes montent. Personne ne répond à leurs âneries. La gauche devient même plus anti-européenne que la droite. La France, hypnotisée par le non de 2005, ne peut, ne doit pas bloquer ce processus prometteur. Hollande ne devrait pas refaire les mêmes erreurs que Sarkozy : stigmatiser l’Europe, les Roms, la mondialisation etc. Les Français ont assez peur comme ça. La France n’a pas le droit de bloquer ses voisins, qui veulent avancer plus vite.
Il faut avancer plus vite, et non masqué, en « crabe » car les gens ne sont jamais dupes trop longtemps. Leur faire croire qu’on va s’en sortir tout seul est stupide, et fera perdre encore 5 ans, jusqu’au prochain « Président » sauveur. La pédagogie sur l’Europe, et tout ce qu’elle nous apporte depuis 60 ans, de la nouvelle équipe au pouvoir reste aussi nulle que l’ancienne.
On fait un peu, trop peu sans expliquer ce que l’on fait. Résultat d’un sondage paru dans le Figaro récemment : 64% des Français ne voteraient pas Maastricht, eux qui furent 51% (à peine) à le voter en 1992.
Continuez ainsi, à ne pas parler ou mal parler, de l’Europe. De quel droit Madame Najat Vallaud-Belkacem, Porte-Parole du Gouvernement, ose dire : « nous n’avons pas besoin de plus d’Europe, mais de mieux d’Europe » ? De quel droit ? Cette assertion se fonde sur quoi, au juste ? Sur quels éléments déterminants, ou objectifs ? Lorsque nos voisins immédiats réclament sans cesse d’aller de l’avant face à une crise qui peut durer des années.
Nous avons besoin de mieux d’Europe, bien sûr, mais AUSSI de plus d’Europe : harmonisée, intégrée, convergente, solidaire, donc budgétaire, fiscale, économique, et surtout politique, donc fédérale. L’euro est une monnaie sans Etat, avec 17 dirigeants sans idées, et sans avenir.
La France ne saurait se mettre trop longtemps à l’écart de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Pologne, des pays du Benelux, autant de pays fédéraux qui n’ont pas de « blocage » psychologique à l’égard d’une Europe fédérale.
Je l’écris ici depuis des années : la France ne pourra s’en sortir seule et aura de plus en plus besoin de toute la solidarité européenne. Inutile de continuer à jouer les matamores, seuls contre les autres.
Je rappellerai un seul problème, de taille : notre inexorable déclin industriel (part de l’industrie dans le PIB : en France, 13% ; Allemagne 30% ; la France était à 28% en 1982 !!) et notre endettement considérable, détenu aux 2/3 par des créanciers étrangers. Les écueils sont devant nous, dès 2013, avec une croissance entre 0,2% et 0,5% au mieux (et non 0,8%), et il faudra bien commencer un jour à se réformer vraiment, à l’instar de tous nos voisins !
Dès 2013, la France sera le plus gros emprunteur de toute la zone euro. Il faut donc dire toute la vérité aux Français, et agir en européen, pour et dans l’Europe.
Les bonnes nouvelles énoncées ci-dessus devraient nous donner le ressort nécessaire d’emboîter le pas aux Etats qui marchent en tête, et pas de nous replier sur des postures nonistes et nationalistes, en pensant ainsi (à tort) sauvegarder la cohésion du pays par le non-disant et le moins-faisant… Chimère que de dire qu’on va sortir de la crise « en deux ans », sans faire l’Europe ! Chimère !
Le train européen recommence à démarrer. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, voire l’Amérique reprennent confiance dans l’UE en investissant massivement (les exportations de l’UE vers la Chine sont passées de 26 milliards d’euros en 2000 à 136 milliards en 2011 !), et confortent leur confiance dans l’euro.
Puisse la France raccrocher son wagon !