Le budget européen 2014-2020: une baisse historique, mais surtout une occasion manquée pour la relance de l’économie
On le sentait venir depuis plusieurs mois, en ces périodes de crise aigüe - et durable -en UE et en zone euro, notamment pour les pays du Sud. Cette fois-ci, les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas hésité à « profiter du contexte » de la nécessaire rigueur pour baisser de 3,5% le « cadre financier pluriannuel », c’est-à-dire le budget européen sur la période 2014-2020, en le ramenant ainsi de 994 milliards d’€ (période 2007-2013) à 960 milliards, soit 1% pile du Revenu national brut de l’UE. Cela est une décision majeure, et – tristement- historique du Conseil européen de février 2013.
Il y avait d’ailleurs eu quelques prémices ponctuelles, courant 2012, avec une impossibilité en fin d’année de boucler des dépenses sociales, dont le programme Erasmus permettant à des milliers d’étudiants d‘avoir une bourse pour un an pour aller étudier dans un autre pays de l’UE. Même souci pour le programme européen d’aide alimentaire, le PEAD, qui fut, temporairement, concerné en 2012, au détriment, pour la France, par exemple, des Restos du cœur, du Secours populaire et de la Croix Rouge.
Mais pour la période pluriannuelle qui s’ouvre, de 2014 à 2020, l’affaire est plus sérieuse. Le plafond absolu de dépenses sur 7 ans sera de 960 milliards, et la base minimum des crédits engagés sera de 908 milliards d’euros. Pour rappel, la Commission européenne avait proposé le montant de 1.033 milliards pour le plafond maximum.
Au-delà des regrets et indignations quasi-générales, je dirais tout d’abord que c’était prévisible, depuis 2009 ou 2010, car les budgets nationaux des pays en déroute ont commencé à être réduits face à l’amoncellement de dettes publiques depuis des décennies. Comment dés lors, éviter la même chose pour un budget européen, alors qu’il est financé en quasi-totalité par des contreparties nationales ? Les politiques d’austérité ou de rigueur s’appliquent en interne, elles vont s’appliquer au niveau communautaire. Pour être honnête, le problème n’est donc pas tellement, ou exclusivement là, finalement. Et les Merkel ,Cameron et autres ont eu beau jeu d’invoquer le prétexte de la rigueur nationale pour « justifier » qu’il fallait aussi faire des efforts au plan communautaire. Certes, ce type de raisonnement ne pouvait venir que des pays qui sont « contributeurs nets », c’est-à-dire qui payent plus à l’UE qu’ils ne reçoivent d’elle.
Nous n’en serions pas là, en effet, si nos dirigeants européens avaient su, depuis longtemps, établir un plan communautaire pour des financements propres, autonomes : taxe sur les importations en Europe ; impôt européen ; taxe sur les transactions financières. La commission a de nombreuses propositions sur ces solutions, que les Etats ont soigneusement ignorées durant des années. Seule la taxe sur les transactions financières, qui s’appliquera à tout échange de titre de société basée en Europe, avance enfin, avec onze pays qui ont signé un accord pour sa mise en œuvre. Elle devrait rapporter environ 50 milliards d’euros par an. Ce sera un début encourageant, qui gagnera d’autres pays européens, voire d’autres continents. L’Europe reste pionnière pour de telles « révolutions ».
Tant que le budget européen sera prisonnier des recettes des seuls Etats membres, il sera indigent et ridicule, a fortiori en période de vaches maigres, qui affectera plusieurs pays de l’UE pour des années. Ce qui explique que l’on reste à 1% du PIB européen, là où les Etats-Unis, pays fédéral, sont à 25% !
Les Etats-Unis commencèrent aussi avec un budget fédéral de 1% seulement, en 1792. C’était encore le cas en 1929, lors de la grande crise, et ce budget les empêcha d’agir dans les premiers mois, jusqu’à la mise en place du New Deal, puis du financement de la seconde guerre mondiale, qui amènera progressivement ce budget à … 25%.
C’est ce que doit faire l’UE, et vite, si elle veut rester dans l’Histoire et peser sur le monde… Je le dis depuis très longtemps, comme beaucoup d’études le préconisent, qu’elles soient européennes ou autres. Car ses 27 budgets divisés, étriqués, sont source de morcellement et de gaspillage. Imagine-t-on 27 Airbus différents ? Ou 27 Ariane-Espace différents ? L’exemple de la politique de défense est à ce titre flagrant : après plus de 60 ans de construction européenne, en paix, on est toujours avec un embryon de défense européenne, avec des armements disparates d’un pays à l’autre, y compris jusqu’aux cartouches et fusils ! Résultat, on a une inefficacité opérationnelle et un gaspillage financier énorme, avec 27 budgets de défense qui coûtent, au total, 300 millions d’euros par an (Grande Bretagne, France, Allemagne, Pologne..) pour une efficacité… équivalent à 10% de la force de frappe globale américaine !… Cherchez l’erreur…
Sans être provocateur, je dirais donc que cette baisse « historique » est à relativiser. Car 1033 milliards ou 960 milliards (plafond maximum de dépenses) , soit 1% ou 1,2% du PIB ne change pas radicalement la donne du problème : avec un tel budget, dans les deux cas, l’UE ne peut presque rien faire, pour développer sa compétitivité, sa recherche, son innovation, bref tout ce qui est indispensable à sa survie économique dans un monde qui lui, avance et se développe plus vite (de l’Asie à l’Afrique), et ne fera pas de cadeaux… On ergote donc sur des queues de cerise, avec un budget si modeste (137 milliards par an, donc), quand même un pays comme la France a un budget national annuel de 350 milliards d’euros, et consacre à sa dépense publique 56% de son PIB… (et même 57% selon la Commission..)
Ce qui, en revanche, est problématique, c’est que cette baisse de 3,5% sur le budget précédent montre la main mise absolue des chefs d’Etat et de gouvernement sur la Commission et le Parlement européen. Sur le budget aussi, l’intergouvernementalisme ringard et radin l’a emporté sur l’intérêt général et communautaire. Chaque pays s’est plutôt acharné à se défausser, et si possible diminuer sa contribution en imposant sa loi à la Commission.
Aussi, les piètres marchandages auxquels se sont livrés nos chefs d’Etat et de gouvernement au dernier Conseil européen illustrent bien le décalage entre les enjeux majeurs du XXIème siècle et leur attitude quasi puérile, à usage interne, afin de convaincre leurs opinions publiques qu’ils ont sauvé les meubles et défendu « leur » budget dans d’âpres discussions de boutiquiers, enfermés dans des exercices de comptabilité sordide, loin de toute vision stratégique et communautaire. Ils continuent de privilégier leur intérêt personnel (électoral) à l’intérêt général.
C’est là, sur la symbolique et l’image négative qu’ils donnent de l’Europe en direction des autres continents, qu’il y a problème. Où est la gouvernance européenne ? La solidarité ? La vision commune ? Comment renforcer l’Europe avec un tel budget ?
On reconduit un budget des années 1980, avec une politique agricole commune (PAC) en très légère diminution (elle reste au niveau de 2013, mais sans indexation sur l’inflation), qui continuera durant 7 ans à favoriser les très grandes exploitations agricoles ; une politique de cohésion (fonds structurels européens) à peu près identique aussi pour les territoires (la France va pouvoir continuer à multiplier des carrefours et des ronds-points, entre autres); alors que tout le reste, aide au développement, aide alimentaire, emploi et formation des jeunes, relations extérieures, est en diminution. Pire, on a mis un milliard seulement, pour les télécoms, l’internet, le numérique, autant de technologies de l’avenir, créatrices de valeur ajoutée et d’emploi !
Comment avec un tel budget, qui ne peut faire que du saupoudrage sur 27 Etats membres (bientôt 28 avec la Croatie) peut-on décemment prétendre que l’on va pouvoir conjuguer sérieusement des politiques de rigueur (baisse des dépenses improductives et retour progressif aux équilibres budgétaires), avec des politiques tout aussi nécessaires de relance massives de nos économies plombées au Sud par un manque d’investissements, d’innovation, et donc de compétitivité sur le reste du monde ? Un exemple révélateur, on a mis 6 milliards d’euros, étalés sur 7 ans, pour lutter contre le chômage des jeunes !! No comment ! C’est maintenant qu’il fallait augmenter significativement le budget communautaire, par des ressources propres à l’UE, bien sûr, afin de ne pas obérer davantage des budgets nationaux déjà en déficit. Je citais ci-dessus l’exemple de la taxe sur les transactions financières, enfin sur les rails. C’est une novation essentielle, mais insuffisante, bien sûr. Il faudrait aussi un impôt européen, des taxes aux importations, une fiscalité sinon commune, du moins très harmonisée. Mais pour aller vite sur tous ces sujets majeurs, il faut une gouvernance européenne, une intégration politique. Je le répète souvent aussi. On y réfléchit dans plusieurs pays européens (Allemagne, Italie, Pologne). La France hésite encore, on pratique encore trop le double langage. Même si l’Europe a avancé un peu depuis 2 ans. Il faudra encore quelques années de crise pour faire sauter les derniers verrous psycho-politiques, mais gare aux révoltes populaires…
Car si l’on ne fait rien, la crise est devant nous, pas derrière nous… nos « politiques de communication » nationales, en lieu et place de mesures fortes et durables, à l’échelle européenne auront vite leurs limites.
Les Américains et les Chinois peuvent se réjouir d’un tel budget… qui est, de surcroît, une aberration économique et démocratique, de par sa durée énorme (7 ans !), soit presque deux mandatures parlementaires, qui gèle, fige des montants pour une telle durée, sans aucune visibilité sur des conjonctures à si long terme. D’ailleurs des parlementaires européens souhaitent aussi une flexibilité budgétaire, adaptée aux évolutions conjoncturelles.
Les plus radins, enfin, ont été ceux qui dirigent l’UE, c’est-à-dire les grands pays qui sont contributeurs nets, c’est-à-dire ceux qui payent plus qu’ils ne reçoivent : l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Suède, les Pays-Bas. Tous ont exigé une baisse du budget. Le seul contributeur net à avoir tenté – en vain – une modeste hausse, est la France. Même si c’était surtout pour protéger « son » budget prioritaire, à savoir la PAC. La France donne 19,6 milliards d’euros et reçoit 13,2 milliards d’euros. Ce budget lui coûte donc 300 euros par an et par habitant.
Comme d’habitude, nos chefs d’Etat et de gouvernement sont rentrés dans leur pays avec « leur » communiqué de victoire. La France a sauvé sa PAC grâce au soutien des pays de l’Est favorables à la PAC, qui conservera environ 1/3 du budget global. Même si « son poids relatif dans le budget européen diminue, et cette tendance va se poursuivre », selon la déclaration officielle d’Herman van Rompuy, président du Conseil européen le 15 février dernier. Tiens, tiens, le gouvernement français ne l’a pas dit, ça ? Les autres, Grande-Bretagne, Danemark, ont sauvé leurs rabais. Les orgueils nationaux sont donc saufs. Mais aucun n’a donné à son peuple une image moderne de ce budget, une vision, une audace, des nouveaux projets, notamment d’investissement pour l‘avenir.
Voilà qui ne servira pas le projet européen, pourtant si nécessaire, ni l’adhésion à la cause européenne. Et nos dirigeants, peu à la hauteur, feignent de l’ignorer. Attention, danger… Malgré les formules, telles celle de François Hollande « le budget est un bon compromis ». Faux, archi faux ! Ce budget est indigne de l’Europe, et des politiques d’avenir à conduire rapidement pour prendre enfin le train de la mondialisation. La crise continue d’exacerber l’euroscepticisme et le nationalisme.
Il reste donc un dernier espoir, pour contrecarrer l’arrogance mesquine de nos dirigeants européens et stopper ce mauvais compromis.
Cet espoir, c’est la voix des peuples européens, via le Parlement européen. Il a un rôle historique, vu qu’il peut, enfin, refuser en bloc un tel budget. Les 4 principaux groupes politiques ont d’ores et déjà déclaré qu’ils voteraient contre. Ils l’ont annoncé dans un communiqué commun, signé de Joseph DAUL (PPE-conservateurs), Hannes SWOBODA (PSE-socio-démocrates), Guy VERHOFSTADT (Adle-Libéraux), et Rebecca HARMS et Daniel COHN-BENDIT (Verts) : “ce budget ne renforcera pas la compétitivité de l’économie européenne. Au contraire, il ne fera que l’affaiblir. Ce n’est pas dans l’intérêt des citoyens européens”
J’espère qu’ils le feront. Il faut le faire. Ils doivent le faire.
Afin de montrer à 503 millions d’Européens, à un peu plus d’un an d’élections européennes capitales, et à leurs piètres dirigeants, qu’ils sont l’organe démocratique essentiel de l’UE. Car jusqu’à ce jour, les Etats imposent un budget sans ressources propres afin de garder la main sur tout le budget. Quand elle aura enfin ses ressources propres, on sera en modèle fédéral, seul capable de résister aux Etats-continents !
Mais si le Parlement européen se couche et vote ce budget, ce sera la fin de la démocratie européenne, et la consécration du Conseil européen face à une Commission très affaiblie, qui là encore s’est soumise, même si quelques commissaires européens courageux ont dénoncé ce budget, comme Michel BARNIER : « ce n’est pas un budget à la hauteur des défis de demain et de l’ambition que doit avoir l’Europe, si elle est autre chose qu’un supermarché, comme je le crois ».
Réponse en juillet pour ce vote historique, puisque c’est la première fois, grâce au Traité de Lisbonne que le Parlement européen peut (enfin) voter sur le budget. Les députés européens ont enfin ce pouvoir. Qu’ils l’exercent !
Qu’il sera long d’attendre jusqu’en juillet !
26 février 2013 à 10:04
Le parallèle avec l’histoire de l’évolution du budget fédéral américain ,est édifiant. En effet cela peut laisser à penser que ,sans guerre, l’égoisme des états dépassent l’intérét commun…(budget fédéral américain durant la 2éme guerre mondiale est passé de 1à 27% du PIB. 1% étant le niveau actuel du budget de l’Union européenne si j’ai bien lu.) Alors comment convaincre que cette augmentation sans attendre une guerre , pourrait faire gagner une autre guerre déjà commencé, celle contre le chômage et les discriminations ???
26 février 2013 à 13:56
Lorsque l’on est fédéraliste le constat est évident. le vrai problème réside, à mon avis, dans le fait que cette aspiration à plus de fédéralisme n’est pas pour l’instant partagée par la majorité des dirigeants et des populations de l’UE. La vrai question est donc de savoir si la crise (qui s’annonce longue) sera de nature à faire évoluer cette situation vers une prise de conscience de la nécessité de se fédérer pour rebondir ou si, au contraire, elle radicalisera les nationalismes.