le feuilleton grec continue
Lors que j’ai préparé ce blog, il n’y avait pas les résultats du référendum grec. Mais mon analyse ne changera pas.
Si le oui l’emporte, Tsipras en tirera probablement les conclusions, et en tout état de cause, les négociations avec les créanciers reprendront de plus belle, vu qu’elles étaient très proche d’aboutir, y compris sur le rééchelonnement de la dette. Si, par malheur pour la Grèce, le non l’emportait, ce ne serait pas, je pense, pour autant de nature à affoler outre mesure les marchés et les prêteurs, et à déstabiliser la zone euro, toutefois. On rentrerait quand même dans une période d’incertitudes politiques, dans la mesure où une sortie, de droit ou de fait, de la Grèce de la zone euro, donnerait des gages à tous les extrêmes.
1 – le feuilleton grec continue
Difficile de traiter d’une actualité en train de se faire. Car ce qui est dit aujourd’hui pourrait être démenti demain. Avec les Grecs, depuis quelques mois, on n’est plus sûr de rien. Donc, pas question de suivre au jour le jour, je devrais dire à l’heure l’heure le déroulé des événements et des allers-retours réels ou supposés entre Athènes et Bruxelles.
Je voudrais néanmoins juste revenir sur quelques points, et rappeler quelques vérités, et quelques fondamentaux
a) Etat de la grèce
Les grecs souffrent ; la Grèce s’appauvrit avec la politique dite d’austérité.
Mais ne nous trompons pas sur les mots : la crise n’a pas été déclenchée par la politique de la troïka et l’austérité ; la crise a pour origine la dette grecque, et rien que la dette grecque.
En 1981, lorsque la Grèce rentre dans l’UE, elle le fait par la volonté, et le coup de force, de Valéry Giscard d’Estaing : on ne peut pas laisser hors de l’Europe, le pays qui est à la matrice de la civilisation européenne. Il y avait, aussi, à l’époque, une dimension géopolitique non négligeable : la Grèce était, alors, à l’avant-poste de l’Europe libre, de l’occident, entourée, sur quasiment toutes ses frontières, de pays du bloc de l’est. Aujourd’hui, cette dimension géopolitique a perdu de son importance : la Grèce est, d’une certaine façon, rattachée à l’Europe, avec l’entrée de la Bulgarie, de la Roumanie ; et avec l’évolution de l’ex-Yougoslavie. Elle reste, quand même, dans une situation particulière, avec sa proximité avec la Turquie, son vieil ennemi, et avec le Proche-Orient, dont on connaît les difficultés grandissantes. Cette situation géopolitique pourrait, prochainement, si la Turquie basculait vers plus de radicalité, et si le Proche-Orient basculait définitivement dans la terreur, redevenir un argument de poids pour garder la Grèce dans l’Europe, avec ou sans l’euro.
En 2001, lorsque la Grèce rentre dans la zone euro, elle bénéficie, encore, de l’appui forcené d’un autre président français, Jacques Chirac : on ne peut pas laisser dehors, le 12ème pays de l’UE-15 qui veut l’euro. Alors, on ferme les yeux sur les comptes dont on soupçonne les irrégularités, même si on était encore loin d’en imaginer l’ampleur.
Et à partir de là, la Grèce bénéficie du parapluie euro : elle peut recourir à son démon historique, l’emprunt. Car, depuis que la Grèce est un Etat indépendant (1830), la Grèce a toujours vécu par des financements extérieurs. Ce qui lui a déjà valu d’être en défaut, en 1893, en 1932 et en 2010. Et entre ces dates, de l’acrobatie financière, constante. Et 40 dernières années de redistribution basée uniquement sur l’emprunt.
Car la Grèce souffre de problèmes structurels et de dysfonctionnement profond : qui lui sont imputables, et à elle seule. 1er dysfonctionnement, l’Etat est inexistant en Grèce, en tout cas, l’Etat tel qu’on l’entend dans les pays modernes et développés. L’Etat n’assure pas ou peu les fonctions protectrices pour les citoyens, et donc les grecs ne le voient pas en tant que nécessaire et utile ; l’Etat grec est essentiellement un pourvoyeur d’emplois : un nombre pléthorique de fonctionnaires, embauchés à chaque élection, et qui forment la base d’un clientélisme poussé à l’extrême.
En fait, l’Etat grec souffre de clientélisme, de népotisme et de corruption à tous les étages. Donc, ce qu’il faut d’abord faire, ce sont des réformes structurelles essentielles, et changer profondément la façon de faire.. et de penser. Parmi les administrations à changer, l’administration fiscale ; parmi les mentalités à changer, le rapport à l’impôt. Ne pas payer ses impôts est un sport favori, qui touche l’ensemble de la société grecque, et pas que les armateurs ou l’église orthodoxe. La fraude fiscale a ainsi été estimée à 200 milliards d’euros : c’est juste le montant de la dette grecque au moment de la crise de 2008. De là à dire que si les impôts étaient rentrés normalement pendant les 10 années qui ont précédé la crise, l’Etat grec aurait eu en sa possession, l’équivalent de sa dette (! ) et n’aurait pas, ou peu emprunté, il n’y a qu’un pas que l’on ne franchira pas, mais qui laisse quand même un peu rêveur. La Grèce détient le plus faible rapport de recette fiscale par rapport à son PIB : 20% seulement. L’impôt foncier est une des nouveautés instaurées par la politique de réforme. Depuis 2013 ! Quand on sait que 82% des Grecs sont propriétaires de leur maison, cela donne la mesure du manque à gagner. ( 82% de propriétaires ; 56% en France. Pauvres, les Grecs ?). L’église orthodoxe en est encore dispensée, alors qu’elle est la seconde propriétaire du pays, après l’Etat. Idem pour les armateurs : la marine grecque représente 8% de la flotte mondiale. Et les armateurs commencent, seulement maintenant, à payer quelques impôts ; en susurrant qu’il est tellement facile de changer le drapeau d’un navire et de le transporter dans un paradis fiscal…
Au total, le manque à gagner, par an, serait de 35 milliards d’euros d‘impôts directs et de 9 milliards d’euros de tva.
Enfin, après les recettes qui ne rentrent pas, voyons les dépenses excessives. Les jeux olympiques d’Athènes en 2004 ont été une source de déficit important. Comme pratiquement tous les jeux olympiques. Mais à la différence des autres villes et Etats, les dépenses faites n’ont jamais été pensées comme des investissements. Et les équipements n’ont servi que… pendant 15 jours. Le village olympique, lui-même, est aujourd’hui, un site fermé, déserté et désertique, à l’abandon ; une ruine, nettement moins sympathique à visiter que les ruines de la Grèce antique. Quand on voit ce que l’organisation des jeux olympiques a apporté à Barcelone et comment ils ont boosté la ville (idem pour Londres), on mesure encore, et toujours, l’incurie et l’imprévoyance, une sorte de légère insouciance des Grecs. Mais qui se paie cher, et très cher, en 2010 et 2015. On pourrait multiplier les exemples d’organisation de Coupes d’Europe de football. Les grecs voulaient tout, quelque soit le prix. A l’abri d’une monnaie solide, et donc de créanciers généreux. Une totale fuite en avant depuis 2001 ( son entrée dans l’euro).
Une autre source de dépense est l’armée : le 3ème poste budgétaire. Avec une armée tournée vers un seul objectif : la défense de la Grèce contre son voisin turc. Les dépenses militaires, rapportées au PIB, sont les + élevées de l’UE, et les 2ème dans l’OTAN, juste derrière les USA. Un vrai délire paranoïaque et de « puissance ». Pour une efficacité moindre. Certes, les réformes ont fait baisser la part militaire du budget de 4% en 2009, à 2% aujourd’hui. Certes ce budget a permis à l’industrie de l’armement française, entre autres, de vendre des armes, sans état d’âme.
b) Du jeu de bonneteau à la roulette russe
On est peut-être, enfin, arrivé à un stade de la vérité. Ou l’UE se rebiffe, ou se réveille.
Mais les différents protagonistes jouent surtout un jeu de poker menteur ; et les Grecs semblent être les champions ; pour l’instant. Accentuant un peu plus leur perte…
Quelques commentaires sur les idées reçues
1ère idée reçue : Et si la Grèce refusait de rembourser la dette ? C’est le slogan que l’on entend régulièrement en Grèce, et ailleurs. Une idée que certains trouvent fort sympathique. Mais il y a plusieurs hics. Vis-à-vis de ces créanciers tout d‘abord. En faisant défaut, mardi soir, la Grèce est le 1er pays développé à avoir fait défaut à l’égard du FMI, en 70 ans d’histoire du FMI. Deux autres pays, seulement, avaient auparavant fait défaut au FMI, le Zimbabwe et le Soudan. Ce qui démontre bien, que bon gré mal gré, les pays remboursent les dettes contractées. Même avec des maturités allongées (rééchelonnement de la dette). Pourquoi ? Tout simplement parce que cela leur permet de rester solvables, et d’accéder, encore, et toujours, aux marchés financiers. Comme l’ensemble des pays de la planète.
Autre raison, il y a des créanciers qui ont accepté de financer la Grèce. Et ses créanciers (publics, privés) ne veulent pas perdre leur argent. C’est humain.
Enfin, il y a quelque chose de l’ordre de la morale. On a demandé à de nombreux pays des efforts importants, des réformes fortes ; et ces pays les ont faits ; eux aussi ont souffert, et ils n’ont pas bénéficié de la même indulgence que la Grèce. Et aujourd’hui, on pourrait dire à l’Espagne, au Portugal, à l’Irlande, vous avez fait des sacrifices, vous avez soufferts, vous avez payé vos dettes, et vous commencez à vous en sortir ; mais la Grèce, c’est autre chose, ils peuvent eux (sur quelle base et pour quelle raison ? ) se permettre de ne rien rembourser, de ne pas se réformer ? Quel message donne-t-on ?
Et parmi les pays qui ont fait des efforts, il y en a de nettement plus pauvres que les Grecs. Car les Grecs ont un PIB de 21.000 $ par habitant ; c’est 42.500 $ pour la France (qui, au passage, n’est qu’en 9ème position des pays de l’UE, et en 7ème position des pays de la zone euro). Mais plus pauvres que la Grèce, il reste encore 11 pays de l’UE, dont 5 de la zone euro (dont le Portugal qui a fait beaucoup d’effort et payé ses dettes !!). Et le PIB par habitant des Grecs est encore 3 fois supérieur à celui des Bulgares ! On est toujours le Grec de quelqu’un !
Sans oublier, que le non-remboursement de la dette grecque a déjà commencé, sans qu’on le dise. Car les créanciers ont déjà accepté un allègement de la dette grecque de 120 milliards d’euros. Un allégement, en langage financier, cela veut dire un renoncement, un effacement. Ce qui, encore une fois, est extrêmement rare.
2ème idée reçue : l’UE n’aide pas la Grèce ! Bref, les Grecs, « victimes de tout », ne sont pas aux portes de l’enfer sur le plan patrimonial et niveau de vie. L’UE est présentée partout et tout le temps, comme le grand méchant loup, celle qui impose l’austérité, et qui n’aide pas la Grèce, au contraire.
VOIR ANNEXE : LES DIFFERENTS PLANS D’AIDE POUR LA GRECE (LE MONDE DU 29 JUIN 2015).
Il convient de rappeler que 80% de la dette grecque est aujourd’hui détenue par des créanciers publics, dont les 2/3 sont européens. Le FMI a prêté directement à la Grèce 32 milliards d’euros, quand les états membres ont prêté 53 milliards, et que le FESF (fond européen de stabilité financière) s’est porté garant pour 142 milliards d’euros (si les Grecs ne remboursent pas, ce sont les garants qui paieront ; et les garants ce sont les Etats membres de la zone euro). La France et l’Allemagne détiennent 1/3 de la dette grecque (en cas de défaut total de la Grèce, ce sont 606€ que chaque Français devra rembourser). Alors de qui se moque-t-on ? Et qui se moque de qui ?
(in Le Monde du 23 juin 2015)
c) Le vrai fond du problème
Le vrai fond du problème de toute cette affaire grecque est à rechercher, non pas en Grèce, même si l’on peut, assurément, regretter le manque de clairvoyance de ceux qui ont fait rentrer ce pays dans la zone euro, mais plutôt dans l’Union européenne elle-même. Car tout découle, au final, d’une mauvaise application du Traité de Maastricht. Pour ses pères fondateurs, et pour Jacques Delors en premier chef, l’euro n’était que le premier étage de la fusée. L’euro ne devait pas rester orphelin d’une intégration européenne. Autrement dit, on a fait l’euro, l’intégration monétaire, pour mieux faire l’UE, l’intégration politique. Mais dans les faits, ce n’est pas cela qui s’est produit. On a fait l’euro, qui fut et est une vraie réussite : la 2de monnaie du monde, en 16 ans d’existence, 27% des réserves monétaires des banques centrales du monde ; et certains politiciens se sont arrêtés là, aveuglés par cette réussite économique, et affolés par l’implication politique du plus d’intégration européenne, à savoir leur crainte paranoïaque d’un abandon de souveraineté. Mais quelle souveraineté, au fait ? Face aux USA, à l’OTAN, aux écoutes, à l’Asie émergente ?…
Et cela, on le doit à des politiciens comme Chirac, Schröder, qui ont freiné des 4 fers, ont tout stoppé, et sont donc les responsables indirects, mais au combien réels, de la situation actuelle.
Car comment faire coexister des économies différentes, voire divergentes au sein d’une même zone monétaire ? Comment défendre une monnaie mondiale sans Etat (fédéral) ? Sans un Trésor européen ? Sans un pilote dans l’avion ? Les économies européennes se font concurrence les unes par rapport aux autres. Les réalités économiques sont très variables d’un pays à l’autre : quoi de semblable entre l’économie allemande et l’économie grecque qui partagent, pourtant, la même monnaie, et le même accès aux marchés financiers. D’un côté une économie avec une part de l’industrie encore importante, une économie exportatrice, de l’autre une économie essentiellement tertiaire (de services, marine marchande et tourisme), qui importe quasiment tout. On pourrait comparer aussi l’économie espagnole ou italienne avec l’économie estonienne ou lettone.
L’euro a masqué ces différences entre économies. Tous les pays de la zone euro ont pu, du jour au lendemain, avoir accès, grâce au partage de cette monnaie unique, aux marchés financiers sous de bonnes conditions, avec des taux d’emprunt qui ne reflétaient absolument plus la réalité économique du pays emprunteur, mais plutôt la bonne santé financière de l’euro. Les bons élèves de la classe, l’Allemagne en premier, ont tiré toute la zone euro vers de bonnes conditions financières. Et certains se sont illusionnés sur ces facilités et largesses : c’est le cas de la Grèce, qui a tiré parti et profit de cette corne d’abondance à bon marché (pour un temps).
La vraie leçon de cette « crise grecque » est de dire qu’il y a un vrai manque d’Europe. Pour que la zone euro fonctionne correctement, et joue son rôle de protecteur, et pour que l’on évite à l’avenir ce psychodrame, il faut revenir au projet initial : l’euro n’est pas une fin en soi, mais une étape. Il faut donc avancer résolument vers du fédéralisme : un Etat fédéral, ce qui implique une gestion commune et unique de la politique monétaire ; un trésor européen, comme il y a la FED aux USA ; un budget européen avec des ressources propres, qui permettrait de détacher l’UE des marchandages constants et mesquins des Etats membres ; et enfin une fiscalité européenne. On aurait ainsi une gouvernance de la zone euro, plus cohérente, un gouvernement européen efficace.
d) Quelles conséquences pour une sortie de l’euro ?
La sortie de la Grèce de la zone euro impacterait peu l’union européenne : car la Grèce, ce n’est que 2% du PIB de l’UE. Pour autant, la valeur symbolique du retrait pourrait être plus conséquente. Ce serait le premier pays à sortir du projet européen (avant éventuellement le Royaume-Uni, même si je n’y crois pas non plus, mais j’y reviendrais).
Il faudrait donc élaborer un scénario de sortie, réimprimer des drachmes, ré-initialiser toutes les caisses enregistreuses du pays en cette nouvelle monnaie… etc. Et surtout, aller toquer à la porte du FMI. Bon courage !
Pour ceux qui rêvent d’un grand soir, est qui espèrent en cette « première », quelles conséquences auraient réellement une sortie de la zone euro d’un quelconque Etat membre ? Ce qui vaut pour la Grèce, vaudrait, encore plus, pour la France. A bon entendeur, du côté de l’extrême-droite, par exemple.
Tout d’abord une fuite des capitaux, massive. Et un retour immédiat au contrôle des changes. Ce qui, par ailleurs, se produit déjà en Grèce. Les grecs ayant sorti 1,3 milliards d’euro de leurs comptes bancaires et livrets d’épargne depuis le week-end dernier, ce qui inaugure mal de leur confiance envers la capacité de leur gouvernement à s’en sortir. Transposons le cas grec à la France, et on pourrait, facilement, multiplier par 5 ou plus, la sortie de capitaux ; sachant que les Français sont plus grands écureuils de toute l’Europe.
Une fermeture des banques, et une limitation de la circulation des espèces : on ferme les banques pour que les citoyens ne vident pas (trop) leurs comptes , ce qui accélèrerait la faillite des banques. On a, dans l’histoire, le cas de la banqueroute de la banque Law au XVIII° siècle, ou de la crise de 29. Les commerçants sont de moins en moins enclins à accepter les chèques et cartes bleues, car, eux-mêmes, se retrouveraient sans liquidités (chacun n’a droit qu’à 60 € / jour). Mais comme les espèces vont très vite se raréfier, on va donc vers une économie très vite bloquée. A moins de revenir au troc…
Mais la France n’est pas la Grèce. Et ce qui se passe en Grèce serait, alors, démultiplié par un scénario-catastrophe de sortie de l’euro. Tout d’abord, parce que la France a une économie, encore, forte et puissante. Parce que la France est très connectée à l’ensemble du système financier international. On le mesure à chacune des crises. Les investisseurs étrangers seraient les premiers à refuser d’investir, et à fuir. Ce que l’on ne peut empêcher. Car, pourquoi accepteraient-ils de prendre de véritables risques : une dévaluation de leurs avoirs, plus un contrôle des changes qui immobiliserait ces avoirs (Chypre a démontré, il y a quelque temps, que les Etats sont capables de tels choix). En effet, la majorité des actions côtés sur la bourse de Paris sont détenues par des non-résidents, soit une contre-valeur de 750 milliards d’euros. La vente d’une telle masse d’actions entrainerait, inévitablement, un écroulement de la place de Paris, et sa fermeture.
On peut se rappeler la phrase du général de Gaulle, en 1966, « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » ; certes, en 1966, c’était encore, peut-être, un peu vrai. Mais depuis, la souveraineté nationale, en matière économique et financière, a pris du plomb dans l’aile. Outre ces détenteurs « non-résidents » des actions cotées sur la place de Paris, il y a aussi les créanciers de la dette de la France. Les Français ont beau adorer thésauriser, à la différence des Japonais, ils n’achètent pas leurs propres dettes. Et, en effet, la dette de la France est détenue, à plus de 70% par des créanciers étrangers (ils étaient seulement 32% en 1993) : fonds de pension, grandes banques, compagnies d’assurances, fonds souverains. Ils détiennent donc les 2/3 de la dette française, soit 1.300 milliards d’euros (sur 2024 milliards d’euros). La fuite des porteurs étrangers d’obligations françaises provoqueraient, immédiatement, une hausse forte des taux d’intérêts. Car ces taux d’intérêts sont fonction, de la valeur de la monnaie dans laquelle sont émises ces obligations, de la bonne santé économique, de la stabilité économique et politique du pays, et d’une donnée non scientifique et non mesurable, la confiance. Une hausse massive des taux d’intérêts provoque l’asphyxie progressive de l’économie : rappelons-nous, qu’en 2010, lorsque la Grèce s’est retournée vers les marchés financiers pour se refinancer, les seuls taux d’intérêts qu’on lui proposait, pour ceux qui acceptaient encore de lui prêter, étaient des taux usuraires, à 27%. On imagine les dégâts. Mais la Grèce a bénéficié de la solidarité de la zone euro, et de la BCE ; et a pu ré-emprunter à des taux de 7% (alors que la France emprunte, actuellement à 1,5% voire moins), auprès de la BCE et des états membres. Mais cette solidarité européenne n’existe … que pour les pays de la zone euro. Hors de la zone euro, le seul salut reste le taux usuraire. A ce taux-là, c’est très vite l’insolvabilité de l’Etat (un défaut), et un effet récessif immédiat sur l’ensemble de l’activité économique. Et à une situation à l’Argentine : 17 années de récession, de souffrance pour le peuple, des économies de vie entière de travailleurs balayés sans, du coup, toucher une retraite, et un appauvrissement généralisé. Dans ces cas, espérer maintenir notre niveau de santé et d’éducation relève de la douce utopie. Honte à ceux qui, en France, réclament la sortie de l’euro. Et ils se prétendent patriotes ! Alors qu’une telle mesure ruinerait le pays.
Dernier coup de poker d’Alexis Tsipras : le référendum qu’il promet le 5 juillet. Au-delà de sa faisabilité technique et politique, en 5 jours, ce qui semble compliqué, la question est surréaliste. Un gouvernement négocie pendant des semaines avec ses créanciers et, brutalement appelle à voter contre la poursuite des aides. Comédie ou irresponsabilité ? Voici la question : « Acceptez-vous le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25.06.2015 et composé de deux parties, qui constitue leur proposition unifiée ? Le premier document est intitulé “Réformes pour la réussite du programme actuel et au-delà” et le second “Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette”. Non accepté / NON - Accepté / OUI »
Pour finir, que veut, que cherche Tsipras ? Dans une longue interview au monde, daté du 2 juin, Alexis Tsipras énonçait sa vision de l’Europe. L’UE est à la croisée des chemins, et s’ouvre, devant elle, deux voies possibles. La 1ère est celle de « l’approfondissement de l’intégration européenne dans un contexte d’égalité et de solidarité entre citoyens européens ». Pour Tsipras, il s’agit de renforcer la démocratie et le poids des décisions du peuple, face à la technocratie ; la 2ème option serait la mise en place d’une Europe à deux vitesses, d’un noyau central plus respectueux des règles « et qui imposerait aux autres les règles d’austérité et d’ajustement » ». Pour le premier ministre grec, il n’y a pas photo : il récuse l’Europe de l’austérité et préconise l’Europe de la solidarité. Qui pourrait le contredire ? Mais l’austérité est la résultante d’une politique préalable de fuite en avant et d’insouciance, et la solidarité impose, aussi, le respect par tous des mêmes règles, surtout quand on a une monnaie partagée.
06 juillet 2015 à 13:49
Cher Alain,
Continue (et notamment contre Stieglitz, Krugman, Généreux etc)… à défendre l’indéfendable… c’est à dire l’Europe des banques contre l’Europe des peuples…
Demain, cela n’a encore jamais été dit mais cela s’inscrit en filigrane dans les faits, la BCE aura le choix entre fournir à la Grèce les liquidités papier dont elle a besoin… ou alors on verra celle ci les fabriquer elle-même. Après tout, les euros codés “Y” s’impriment à Athènes, ville ou c’est le gouvernement Grec (et non Mme Merkel) qui dispose du monopole de la force publique. On verra alors quels pays continueront à accepter les “Y” sur leur territoire, et lesquels non: bon test de solidarité européenne…
Et après tout, que les banques centrales nationales se substituent à la BCE pour l’émission des euros (monnaie commune à la place de la monnaie unique) serait peut être le dernier moyen d’éviter l’éclatement de la zone euro…tout en brisant le pacte de stabilité… Car ce qui se joue aujourd’hui en Grèce ne tardera pas à se rejouer en Espagne avec Podemos. Sauver l’Europe, certes, mais celle des peuples et non celle des banques…
Amicalement. Rudolf
08 juillet 2015 à 15:45
Compte tenu du rapide durcissement de la situation au cours des derniers jours, je souhaite ajouter, en guise de commentaire supplémentaire, ce cout projet d’article que j’ai envié à la rédaction de “Fédéchoses”:
Guerre civile européenne.
par Rudolf Kalman
L’historien allemand Ernst Nolte avait qualifié les deux guerres mondiales de “Europäischer Bürgerkrieg”, guerre civile européenne.
A présent, l’Europe se trouve à nouveau en guerre avec elle même: celle de l’Europe des banques contre l’Europe des peuples. Fracture qui passe au sein de nos peuples, de nos nations, mais que deux d’entre elles ont choisi, chacune d’un côté, d’incarner plus particulièrement: l’Allemagne et la Grèce. Il ne s’agit certes plus d’une guerre armée, nul parachutiste n’a été, cette fois-ci, largué sur la Crète, et nous pouvons raisonnablement admettre que, même en cas de victoire de Podemos aux prochaines élections espagnoles, Guernica ne sera pas bombardée. Cette guerre n’en a pas moins, déjà, coûté des vies humaines: celles de malades privés de soins dans les hôpitaux grecs, ceci pour les raisons que chacun connaît.
Dans cette guerre civile, car, ne nous voilons pas la face, c’en est une, chacun de nous doit prendre parti. François Hollande, dirigeant socialiste et donc naturellement placé du côte de l’Europe des peuples, aurait dû le faire en refusant de recevoir Mme Merkel, et en recevant à sa place les chefs de gouvernement portugais, espagnol, italien…et surtout grec… Isoler Mme Merkel dans le champ politique est la première des mesures à prendre pour le peuple grec, notre allié dans la lutte, notre frère, notre nous-même…
Rappelons enfin quelques faits plus prosaïquement géopolitiques: face à ses ennemis, la Grèce n’est pas dépourvue d’armes. Quel que soit l’attachement des grecs à une Europe qu’ils ont fondée il y a trois mille ans, la sortie de la Grèce de la zone euro ne sera pas sans conséquences. Elle entraînera un basculement, un changement de camp global en direction de la Russie, une sortie de l’UE, et même du Pacte Atlantique. Que l’Occident ne pousse pas la Grèce à ces extrémités, comme jadis l’Amérique a poussé le jeune Fidel Castro dans le camp soviétique.
Ou alors, souhaitons nous réellement offrir à M. Poutine les bases navales dont il rêve, en Crète, au coeur de la Méditerranée?
Caveant consules!
15 juillet 2015 à 10:32
15 Juillet.
L’accord que les grecs ont été forcés à signer est une catastrophe. Pour la Grèce bien sûr, mais pour l’Europe et pour l’avenir de l’idée européenne aussi. Le fait que l’Euro ait pu servir à l’Allemagne de noeud coulant pour étrangler un autre peuple européen servira désormais d’argument de choix à tous ceux qui préconisent la sortie de l’Euro