Et si on redevenait humain…
Si Michel Rocard avait pensé que sa fameuse phrase, prononcée il y a presque 30 ans « la France n’a pas la possibilité d’accueillir toute la misère du monde », serait à ce point reprise, utilisée, exploitée, déformée, amplifiée, par tous ceux qui la prennent en prétexte pour ne rien faire et renoncer à toute forme d’humanité, il ne l’aurait peut-être jamais dite !
Vous l’avez bien compris, je suis choqué et écoeuré de l’attitude frileuse et lâche de nombre de dirigeants européens, et notamment français, sur cette question brûlante (et qui ne fait que commencer) d’une migration économique, sociale, politique et bientôt climatique.
A tout seigneur, tout honneur (si je puis dire), je commencerai par le comportement totalement scandaleux et inacceptable de l’« autocrate » Viktor Orban.
Viktor Orban, l’actuel dirigeant de la Hongrie, a de quoi se pavaner devant ses électeurs : il vient de terminer la construction d’un mur de barbelés entre son pays et la Serbie, afin, dit-il, d’empêcher les migrants de passer. Un mois a suffi pour construire un mur, haut de 4 mètres et long de 175 km, entre un pays membre de l’Union européenne, et un pays candidat à l’Union européenne. Et avec ce mur, il poursuit, inlassablement, et sans aucune réaction européenne, ses discours de haine : hier, il s’agissait des roms ; aujourd’hui ce sont les migrants ; et demain : ce sera peut-être le tour des Hongrois qui ne pensent pas comme lui ? Sans faillir dans sa ligne de conduite, il cherche, et trouve, régulièrement, de nouveaux boucs émissaires à donner en pâture à ses électeurs. Un programme utilisé très souvent, trop souvent, par les hommes politiques (les nôtres aussi), pour camoufler leurs insuffisances et incompétences.
Viktor Orban a sans doute oublié, que c’est, pourtant, grâce à son pays qui a, dès 1989, ouvert sa frontière entre la Hongrie et l’Autriche, que l’Allemagne de l’Est a cédé devant la fuite de ses habitants, et que le Mur de Berlin s’est écroulé en novembre 1989, il y a plus de 25 ans. Ce triste personnage est peut-être un nostalgique du temps où l’Europe était divisée en deux, où l’Europe centrale avait perdu le sens de la liberté. Qui sait ! Ce type, europhobe, anti-démocratique, n’est plus à une contradiction près. En plus, il ose donner des leçons à l’Allemagne, qui elle veut accueillir beaucoup de migrants et faire preuve d’humanisme. Le monde marche sur la tête !
La Hongrie joue, depuis plusieurs années, avec l’Europe. Sa constitution a déjà limité l’indépendance de la justice ; elle a réduit la liberté de parole des journalistes. Ce gouvernement hongrois accepte les parades de groupes paramilitaires dans les rues des villes et autour des camps roms. Et laisse faire. Comme très souvent, outre l’engagement idéologique, ces dispositions servent à cacher une économie faible : certes le taux de croissance a été de 1,1% en 2014, et l’endettement du pays se réduit. Mais l’emprise du gouvernement sur l’économie reste suffisamment forte pour que l’OCDE indique que cela nuit à la compétitivité des entreprises et rend le climat peu propice aux investissements. Du coup, le bouc émissaire sert aussi à camoufler ces difficultés.
Et l’Europe dans tout cela ? Elle a réagi bien mollement : elle a, un peu, tapé du poing sur la table, mais si faiblement que personne n’a entendu. Elle menace de réduire la part de fonds structurels versés à la Hongrie. Pas de quoi faire peur, car elle n’a eu aucune réaction politique, commune et forte. Et pourtant, la Hongrie se moque des valeurs européennes de démocratie, de solidarité, de liberté de circulation. Elle nie l’Europe, mais refuse de la quitter. A quand, l’Hongrexit ? L’Europe, ce sont avant tout des valeurs profondément démocratiques, elle ne devrait pas garder des brebis galeuses.
Il faut dire, que, malheureusement, le mur de la honte d’Orban n’est pas le seul. Il reste toujours un mur séparant en deux la capitale de Chypre, Nicosie. La Grèce a érigé un mur de 18 km entre elle et la Turquie pour empêcher le passage des réfugiés syriens. L’Espagne, même, a son « mur » et ses barbelés dans ses deux enclaves au Maroc, à Ceuta et Melilla.
Et, tout près de nous, en France, à Wattrelos, dans le Nord, on commence les travaux pour une « palissade » devant séparer les jardins de la ville de l’aire des gens du voyage. De l’autre côté de l’Atlantique, aussi, un des candidats à la présidentielle américaine, Donald Trump, fait sa pré-campagne sur l’édification d’un mur entre les USA et le Mexique, pour stopper l’arrivée des « Hispanos ».
A chaque continent ses problèmes !!…
Pour l’Europe, Viktor Orban est un problème. Il faut le sortir de l’UE, et vite. Car il pourrait faire contagion. Son comportement devant l’afflux de réfugiés syriens, il y a quelques jours, est inacceptable. Indigne.
La radicalisation des esprits, la peur de l’autre est aussi un problème pour l’Europe. En France, l’extrême-droite veut nous barricader. Et elle gangrène d’autres partis ! Pour en sortir, il faut dire que la France n’a accueilli, à ce jour, que 6.000 réfugiés syriens, et qu’elle est devenue la moins généreuse en terme d’accueil des migrants. Il faudrait avoir du courage avant qu’il ne soit trop tard !
La photo du petit Aylan, mort sur une place turque, alors qu’il était venu, avec ses parents, chercher l’espoir et la vie en Europe, a fait le tour des médias, et a bouleversé le monde entier. Le monde entier ? Et bien, visiblement les Français n’en ont pas été émus outre mesure. Un sondage IFOP réalisé au lendemain de la terrible image, a confirmé que 56% des Français étaient contre toute arrivée de migrants, même pour des raisons de persécution ! 90 % des sympathisants FN sont totalement contre (ce qui voudrait dire que 10% des électeurs FN sont en faveur des étrangers et migrants ?) ; 73% des sympathisants de l’UMP (que je n’arrive décidément pas à appeler « les Républicains ») ; également, et même, 46% des sympathisants du PS. Et tout cela fait beaucoup, beaucoup de monde : au final plusieurs millions. Dramatique. Révoltant. Mais où est donc passée la France de Victor Hugo ?
Le pays se recroqueville de plus en plus sur lui-même, a peur de tout et de tous. Cela devient terrifiant et préoccupant.
Car au-delà du racisme et de l’islamophobie (et le drame des 7 et 11 janvier n’a pas du arranger les choses), les Français ont peur de tout. De l’étranger, de l’Europe, de l’économie, de la mondialisation. C’est le peuple le plus pessimiste : même les Afghans et les Syriens en guerre sont moins pessimistes que nous (le comble ! alors qu’eux souffrent, vraiment). Nous avons, après le Japon, le plus fort taux de suicide. Bref, une sinistrose permanente, qui s’amplifie encore face à cet afflux massif de réfugiés. Alors, vivons renfermés sur nous-mêmes, devenons rabougris ! Cela nous conduira à l’impasse.
Et du coup, nos dirigeants, frileux eux aussi, obsédés par leur pseudo-pouvoir, voulant faire corps avec ce qu’ils pensent être la nature profonde des Français, suivent ce mouvement mortifère à terme, l’alimentent, le précèdent et le suivent.
Et ce message est tellement bien passé, que les migrants, lorsqu’on les questionne, rêvent d’Autriche, d’Allemagne (naturellement), de Royaume-Uni, de Suède, d’Italie… mais pas de France. Bref, ils veulent aller là où il y a du boulot (donc surtout en Allemagne). Et non du rejet, de la peur, du racisme. La France, ils la traversent : ils veulent aller à Calais, non pas pour y rester, mais pour quitter la France le plus vite possible. En quelques années, nous avons réussi ( !!) à ne plus apparaître comme un eldorado rêvé et fantasmé, car nous ne sommes plus terre d’accueil (depuis longtemps dans les têtes, de plus en plus dans les actes). La patrie des droits de l’Homme, aujourd’hui, c’est l’Allemagne. Plus la France. Je suis atterré et honteux de ce que ce pays devient. Et le Président de la République nous annonce glorieusement que nous allons accueillir 24.000 réfugiés en 2 ans. Consternant pour la 6ème puissance économique du monde.
Qui aidera les Français s’ils ont un jour besoin du monde ? Qui voudra venir travailler chez nous, bientôt, quand la France manquera (et oui !) à son tour de main d’œuvre ?
La France, jadis terre d’accueil, la France de l’égalité, de la fraternité et de la liberté, commence à n’être plus que l’ombre d’elle-même.
Le vrai sursaut patriotique serait de remettre la France en pleine lumière, de lui rappeler ses heures glorieuses, où la France était copiée, désirée et enviée. Mais ceux qui se disent « national » et « patriotique » ne veulent, au contraire, que la poursuite de notre longue et inexorable chute. Ces gens-là sont de plus en plus dangereux. En plus, ils nous plantent à terme, y compris sur le plan économique. Car notre pays vieillira à son tour et aura un besoin croissant de main d’oeuvre étrangère, jeune et qualifiée. Et plus vite que l’on imagine ! A 10-15 ans, pas plus ! L’immigration économique, c’est bon pour nos économies, notre croissance, notre dynamisme. Eric le Boucher le dit très bien, dans un excellent article : « la libre circulation des personnes induit à plus de richesse que l’on imagine, et non le contraire » ! Nos extrémistes, ainsi qu’une grande partie de l’UMP, le nient, le cachent. Ils en paieront la responsabilité devant l’histoire.
Les migrations, il y en a toujours eu, au fil des siècles, pour des raisons politiques et de plus en plus, économiques. On n’a jamais empêché quelqu’un, acculé au désespoir, de prendre tous les risques, y compris de sa propre vie, pour accéder au pays qu’il croit être un eldorado, mai qui, en tout état de cause, est dans une meilleure situation que celui qu’il fuit. Donc tous ceux qui érigent des barbelés, ou des murs, physiques ou psychologiques, sont des imbéciles, prenant des mesures vaines et absurdes. Comme tant d’autres sujets majeurs de ce XXIème siècle, les flux migratoires, impactant le sol européen, se règleront au niveau européen, et à lui-seul. Ouvrons les yeux ! Il y a 60 millions de refugiés dans le monde sur 7 milliards d’habitants. Ce qui donne un flux annuel de 4 millions de flux migratoires par an. On devrait quand même y arriver, en étant unis, entre Européens, Américains, etc !
Prenons l’exemple sur l’Allemagne, certes 4ème puissance mondiale, qui vient de voter, au total, 12 milliards d’euros pour accueillir 800.000 réfugiés. Je suis admiratif. Grâce à la mobilisation du gouvernement de madame Merkel et de la société civile. Dominique Moïsi vient d’écrire une phrase à laquelle je souscris complètement : « l’Allemagne est devenue l’honneur de l’Europe. Elle en est la première puissance morale ».
La cacophonie actuelle des Etats membres de l’UE, qui s’expriment et prennent des mesures dans des directions diamétralement opposées (la France ferme les écoutilles lorsque l’Allemagne s’apprête à accueillir 800.000 réfugiés), est un nouvel exemple démontrant à quel point nous perdons du temps à ne pas réaliser une Europe intégrée, politique, en un mot fédérale. Dans ce domaine, comme dans tous les autres domaines, économiques, fiscaux, sociaux, environnementaux. Mais, dans cette nouvelle division d’Etats-Nations pitoyables et impuissants, qui pensent affirmer leur pseudo-souveraineté en refermant des frontières, on touche cette fois à la déshumanisation même des Européens, donc aux valeurs sacrées et fondamentales pour lesquelles l’Europe post-1945 s’est précisément conçue et bâtie après la barbarie nazie. En un mot, nos piètres dirigeants portent atteinte, cette fois-ci, à ces valeurs fondamentales de l’Europe que sont la solidarité, l’humanité, la liberté de circulation, la liberté tout court. Et c’est peut-être ce qui me choque le plus, dans toute cette dramatique problématique : partout j’entends dire, dans les manifestations pro-réfugiés, que « l’Europe est en-dessous de tout ». Attention au lapsus sémantique (inconscient ou voulu ?) : ce n’est pas l’Europe qui est en cause, sur le plan de ses institutions (Parlement, Commission), c’est bel et bien les chefs d’Etat et de gouvernement (passés ou présents) de ces Etats-membres, du moins ceux qui se referment sur eux, qui mesurent leur taux d’humanité le plus élémentaire à l’aune des sondages d’opinion et de leurs petits calculs politiciens, obsédés par leur élection ou réélection.
Face à la détresse humaine, ces dirigeants-là sont pitoyables et méprisables.
Indignons-nous ! Et renvoyons ces dirigeants (actuels ou aspirants à un retour au pouvoir…) !